Adieu les géants, nous suivons vos pas, invisibles et profonds, dans la neige et le temps.
Aujourd’hui, le grand Jean Malaurie nous a quitté à l’âge de 101 ans. Historien, géographe, ethnologue, il fut l’un des plus grands explorateurs des terres Inuit. Il effectue plus de trente expéditions chez les peuples du nord qu’il est un des premier à côtoyer longuement, avec respect, intérêt, ouverture. Il rapporte expéditions dans une quinzaine de précieux livres, bibles de ses découvertes et impressions d’un grand nord encore traditionnel. Il créa la collection Terres Humaines chez Plon où il fit connaitre Claude Lévi-Strauss, entre autres. Il ne cessa jamais ses quêtes ethnologiques et environnementales, ni d’écrire, ni d’enseigner.
Un visage sillonné par un siècle d’histoire arctique. Une œuvre humaine encyclopédique qui ouvrit le chemin des glaces aux nombreux passionnés qui suivirent.
Soudain, son départ fait écho à une autre disparition que j’appris avec tristesse la semaine dernière, celle de Norman Hallendy, contemporain de Jean Malaurie, ethnologue canadien discret qui vécut plus de vingt ans avec les communautés inuit et se fascina pour les significations des inukshuk.
Enfin, plus surprenant encore, se peut-il être une coïncidence si, ce même jour, je reçois, 6 mois après sa disparition, un signe de Kenneth White, grand penseur, voyageur-poète, lui aussi arpenteur des terres du nord ? Il explorait à travers la pensée et l’impression, définit le nomadisme intellectuel et la géopoétique. Je lui avais écrit quelque fois, toujours avec réponse. Sa dernière lettre, jamais terminée, portant sur l’Antarctique, je la tiens désormais dans ma main grâce à l’un de ses proches amis. Dans une publication, Kenneth White raconte comment il s'intéressa à l’œuvre de Jean Malaurie. Il le contacta, ils se rencontrèrent, débattirent avec passion, admirant chacun le grand inspirateur que fut l’autre.
Leurs œuvres de vie nous ouvrent les voies d’une géographie sensible et unifiée à incarner.
Ce soir, j’imagine leurs trois longues ombres s’agiter passionnément en foulant la neige des « routes bleues », croisant les « messagers silencieux » et les « derniers rois de Thulé », admirant ces « mondes blancs », ouverts, qu’ils passèrent leur vies à tenter de saisir et qu'ils surent rencontrer.
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